"La pensée d'un homme est avant tout sa nostalgie"
Albert Camus, in Le Mythe de Sisyphe
Albert Camus

souvenirs de Joseph Vidal

Joseph Vidal, fils d'un coiffeur espagnol fut camarade de jeux d'Albert Camus. Il habitait la même maison, au 93 rue de Lyon. Il nous livre quelques souvenirs...

[En 1939, la guerre... Alger-Républicain est interdit. Albert trouve alors un emploi à Oran, là où il écrira La Peste. Le reste de la vie, tout le monde la connaît.]
A mon avis, si La Dépêche Algérienne ou L'Echo d'Alger lui avaient proposé un travail, il aurait accepté avec joie. Il en avait marre de manger de la vache enragée. Ce qu'il fallait, c'était être journaliste. Par la suite, il travailla dans ce milieu gauchisant, il prit la carte du P.C. d'où il fut exclu un an après, ses écrits étant en contradiction avec la politique du parti. Ayant toujours connu la pauvreté, il a rêvé comme, tous les gens de gauche, au partage des richesses.
Le lendemain de son appel à la trêve civile (22 janvier 1956), il a constaté que ses amis Omar Ouzegane et Lebjoua l'avaient trompé, car tous deux appartenaient au F.L.N. Ce jour-là, furieux, il m'a dit: "Joseph, ils m'ont niqué". Il ne faut pas oublier qu'après la déclaration du Général de Gaulle pour le droit aux Algériens à l'auto-détermination, Albert Camus a dit à Jean Bloch Michel qu'il ferait campagne contre l'indépendance de l'Algérie (voir le livre "Albert Camus" de Herbert Lottman, traduit de l'américain par Marianne Véron). Il ajoutait qu'il ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour contrecarrer la politique d'abandon du Général. Il a aussi déclaré qu'au cas où l'Algérie deviendrait indépendante, les conséquences seraient terribles pour les Français comme pour les Arabes.
A mon avis personne n'a réussi à le situer réellement :
          - les philosophes communistes le trouvaient réactionnaire,
          - les philosophes réactionnaires le trouvaient communiste,
          - les philosophes athées le trouvaient chrétien, et
          - les philosophes chrétiens le trouvaient athée.
Le 10 décembre 1957 fut un moment très émouvant pour moi quand je vis à la télévision recevant des mains du Roi de Suède le Prix Nobel de littérature. Mais je riais aussi de voir mon ami, déguisé en pingouin avec sa queue de morue.

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© Joseph Vidal - 10/95 Article publié dans le no 38 du Bulletin de la SEC Dernière mise à jour: 05/05/03