"Nous avons choisi d'assumer la justice humaine avec ses imperfections."
Albert Camus, in Combat
Albert Camus

La polémique Mauriac/Camus


La polémique Mauriac/Camus va naître au sortir de la libération, de septembre 1944 à janvier 1945. Camus a 31 ans, est le rédacteur en chef du journal Combat, issu de la clandestinité. Mauriac en a 59, écrit dans Le Figaro et a publié clandestinement aux Editions de Minuit pendant l'occupation.
Les vues du jeune athée républicain rejoignent pourtant au début celles de son aîné catholique : l'épuration est nécessaire et nécessite des juges impartiaux et des procès à fondement juridique solide.
Cependant, rapidement, Mauriac dénonce dans Le Figaro les excès de cette épuration : il faut rompre avec les méthodes des nazis dans les procès des collaborateurs, sous peine de contaminer la France à peine libérée. L'épuration doit avoir lieu, mais à des fins de réconciliation et non de vengeance. Camus répond dans Combat : la Résistance a conquis le droit de parler au nom de la Nation. Bien qu'adversaire de la peine de mort, il est partisan d'une répression rapide et limitée dans le temps. Il ne s'agit pas de vengeance, mais de rendre justice aux martyrs de la Résistance et d'en profiter, dans une optique révolutionnaire, pour rompre avec l'ordre capitaliste et les lois de Vichy.
Mauriac souligne l'inéquité et la partialité des tribunaux constitués de jurés patriotes et partie prenante ou victimes dans le conflit récent ; il fait prévaloir la charité et le pardon contre la justice. Camus assume cette épuration imparfaite et place après la justice le pardon, qu'il situe dans le coeurs des survivants.
Mais dès janvier 1945, Camus constate l'échec de l'épuration telle qu'il la souhaitait : les procès sont sélectifs, frappent durement les intellectuels et les verdicts sont incohérents. De plus, les chefs historiques de la Résistance sont écartés au profit des caciques de la IIIème République; Communistes et Gaullistes confisquent cette épuration à des fins de suprématie politique.
Camus infléchit donc sa position : la justice doit avoir une finalité de réconciliation, sans exacerbation des conflits. C'est ainsi qu'il va s'ajouter au nombre des signataires de la demande de grâce de Brasillach, qui fait figure de bouc émissaire alors que tant d'autres collaborateurs -notamment magistrats et hauts fonctionnaires- seront épargnés.

En 1947, devant les Dominicains de la Tour Maubourg, Camus reconnaîtra que Mauriac, dans cette polémique, avait raison.

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© Georges Bénicourt - 05/03 Dernière mise à jour: 05/05/03