"Collectionner, c'est être capable de vivre de son passé"
Albert Camus, in Le Mythe de Sisyphe
Albert Camus

Camus dans Le Livre de Poche
- à l'occasion du cinquantenaire de la collection-

L'apparition du Livre de Poche a constitué comme on sait une révolution pour la lecture à son époque. Voir ainsi paraître à un prix modique, mais aussi avec une image d' "objet jetable" des textes d'auteurs littéraires renommés avait quelque chose d'étrange, de passionnant et de populaire. Albert Camus apparut rapidement dans cette collection qui rassemblait sous sa bannière la plupart des grands éditeurs de l'époque. On sait que cette position fit école et que d'autres éditeurs lancèrent ensuite leurs propres collections de poche, avant que Gallimard ne rompe le contrat pour se lancer lui-même dans l'aventure poche.

L'attention portée au choix des textes ne pouvait que traduire à la fois la notoriété d'un auteur et l'importance d'une ouvre. Il est de fait intéressant de noter l'ordre et le rythme dans lequel les textes de Camus parurent dans cette collection. Cet ordre traduit tout à la fois l'espoir de ventes et sans doute aussi l'importance relative des textes.

Les deux premiers titres parus de Camus sont les œuvres romanesques, mais sans respecter l'ordre chronologique de parution initiale. Ce fut La Peste qui parut en premier en 1955 sous le numéro 132, suivie en 1959 de L'étranger sous le numéro 406. Deux titres de Camus présents dans les 500 premiers titres, c'est autant qu'Aragon, Céline, Huxley mais moins que Marcel Aymé, Pierre Benoît, Georges Bernanos, Louis Bromfield, Francis Carco, Colette, Cronin, André Gide, Jean Giono, Graham Green, André Malraux ou Sartre. Et c'est plus que Maupassant, Marcel Proust, Raymond Queneau ou Roger Vailland.
couverture de la pestecouverture de l'etranger

Ce sont les seuls textes parus du vivant de Camus. On sait que Camus fut initialement réticent à la parution de l'Étranger en collection de poche (1), alors que La Peste parut dès 1949 dans la collection Pourpre, créée à l'origine à l'initiative d'Hachette et de Calmann Lévy et qui peut, par certains côtés, être considérée comme une des prémices du Livre de Poche. Dans la ligne éditoriale de collection Livre de poche, privilège est donc donnée à la publication des romans sur les essais et les pièces de théâtre.

Mais la collection présente aussi un autre intérêt. On sait l'importance du graphisme de la couverture dans la réussite de la collection. L'image devait être signifiante, la couverture populaire et ressembler quasiment à une affiche de cinéma (2). La couverture de La Peste est signée CS en bas à gauche et il reste à identifier cet artiste (3). La couverture de l'Étranger n'est pas signée mais elle est du peintre Lucien Fontanarosa, le graphisme étant de Massin (4). Voilà deux nouveaux noms d'artistes à ajouter au dossier "Camus et les peintres" (5).

Lucien Fontanarosa n'était pas inconnu pour Gallimard et pour le Livre de Poche. Pour cette collection, il réalisa à partir de 1953 quatre-vingt deux couvertures dont celles d'ouvrages de Hervé Bazin, Georges Bernanos, Céline, Cesbron, Dorgelès, Gide, Faulkner, Hemingway, Montherlant.. Mais Fontanarosa travaillait déjà depuis plusieurs années pour Gallimard : il avait par exemple illustré deux volumes de Gide Récits, romans, soties en 1948, Poésies, journal, souvenirs en 1951, et avait donné un portrait de Malraux en tête des Romans, ouvrage publié en 1951, participé aux oeuvres complètes de Saint Exupéry en 1950.

Mais surtout Fontanarosa avait aussi collaboré à la collection Pourpre. Dans cette collection il a composé 45 couvertures à partir de 1949. Parmi elles, se trouve déjà dès 1949 le nom de Camus - c'est peut-être même sa première couverture. C'est en effet Fontanarosa qui a dessiné la couverture de La Peste : elle est signée dans le coin bas à gauche F.L. De plus, précédent le début du chapitre un, se trouve une autre ouvre en bandeau de cet artiste : elle est signée en bas à droite F.L. Fontanarosa se retrouve ainsi dès 1959 parmi les artistes à avoir illustré deux œuvres d'Albert Camus en compagnie de P.E Clairin et d'Edy-Legrand. Il prend ainsi rang de pionnier.

Comme à eux d'ailleurs, l'univers méditerranéen ne lui était pas inconnu. Né en 1912 de parents italiens, il partagea son enfance entre Paris et Padoue. Très tôt, dès 1931, il voyagea en Tunisie, et obtint en 1934-1935 une bourse pour peindre en Espagne et au Maroc, où il séjourna notamment d'août 1935 à mars 1936. Fontanarosa fit la connaissance à Rome dès 1937 de Gide - dont il a illustré ultérieurement plusieurs oeuvres et dont il réalisera une série de dessins et d'huiles sur son lit de mort - et aussi du sculpteur Greick, dont les liens avec l'Algérie sont importants. Peintre, lithographe, illustrateur Fontanarosa décède en 1975. (6)

Enfin après la mort de Camus, quatre autres titres paraîtront dans la collection Le livre de poche: deux en 1966 Caligula (n°1491) et L'Exil et le royaume (n°1679), un en 1967 Noces suivi de L'été (n°2154) et enfin le dernier en 1968 : La Chute (n°2412). De plus L'Etranger entrera dans la série Livre de poche université en 1965, le texte étant présenté par Maurice Bruézière.
couverture de caligula couverture de noce
couverture de l'exil couverture de la chute

Avec le retrait de Gallimard à partir du 1er janvier 1971 et la création l'année suivante de la collection Folio, les titres parus seront récupérés et intégrés dans les collections de poche de cet éditeur, mais ceci est une autre histoire et une nouvelle vie commencera pour eux.

Cependant, il n'est pas inutile de rappeler que Le mythe de Sisyphe constitua le numéro un de la collection Idées, petite collection de textes philosophiques et d'essais, au format réduit, que Gallimard, précédemment à la rupture, créa en parallèle. Le titre parut dès 1962 et L'homme révolté suivit peu de temps après en 1963 (numéro 36) : là aussi la présence de Camus est significative dans les premiers titres d'une collection de réflexion... et "de poche".


1 - Olivier Todd, Albert Camus, une vie, Paris, Gallimard, 1986, p.508.

2 - Au témoignage de Massin, recueilli dans l'émission " Le livre au format de poche, le défi ", France 5 - Arte, dimanche 9 février 2003. Massin a présenté L'Étranger de Camus parmi les titres de la collection, montrant sa couverture.

3 - Merci d'avance à ceux qui pourraient me fournir des informations à ce sujet.

4 - Cf. " Histoires d'un livre : l'étranger d'Albert Camus ", catalogue édité à l'occasion de l'exposition inaugurale présentée au Centre national des lettres à Paris du 13 octobre au 9 novembre 1990, Paris, IMEC, 1990, rabat page deux de la couverture et p.36.

5 - Cf. " Les peintres amis d'Albert Camus ", Rencontres méditerranéennes Albert Camus, Lourmarin, 1994 et Guy Basset, " Camus-Clairin : œuvres croisées ", Albert Camus 18, Paris, Minard Lettres Modernes, p. 101-107.

6 - Sur cet artiste, on se reportera au site internet : www.fontanarosa.com.

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© Guy Basset - 04/03 Article publié dans le no 66 du Bulletin de la SEC Dernière mise à jour: 09/06/03