"On ne peut pas bien vivre en sachant que l'homme n'est rien et que la face de Dieu est affreuse "
Albert Camus, in L'État de Siège
Albert Camus

L'État de siège
Théâtre - 1948

Voici ce qu'en écrit Camus dans l'édition américaine du Théâtre (1957) :
"L'État de siège, lors de sa création à Paris, a obtenu sans effort l'unanimité de la critique. Certainement, il y a peu de pièces qui aient bénéficié d'un éreintement aussi complet. Ce résultat est d'autant plus regrettable que je n'ai jamais cessé de considérer que l'État de siège, avec tous ses défauts, est peut-être celui de mes écrits qui me ressemble le plus. Le lecteur serait tout à fait libre de décider aussi que cette image, quoique fidèle, ne lui est pas sympathique. Mais pour donner plus de force et de liberté à ce jugement, je dois d'abord récuser quelques préjugés. Il est donc préférable de savoir :
1°) que l'État de siège n'est, d'aucune manière, une adaptation de mon roman la Peste. J'ai sans doute donné à un de mes personnages ce nom symbolique. Mais puisqu'il s'agit d'un dictateur, cette dénomination est correcte.
2°) que l'État de siège n'est pas une pièce de conception classique. On pourrait la rapprocher, au contraire, de ce qu'on appelait, dans notre Moyen-Âge, les "moralités" et, en Espagne, les "autos sacramentales", sorte de spectacles allégoriques qui mettaient en scène des sujets connus à l'avance de tous les spectateurs. J'ai centré mon spectacle autour de ce qui me paraît être la seule religion vivante, au siècle des tyrans et des esclaves, je veux dire la liberté. Il est donc tout à fait inutile d'accuser mes personnages d'être symboliques. Je plaide coupable. Mon but avoué était d'arracher le théâtre aux spéculations psychologiques et de faire retentir sur nos scènes murmurantes les grands cris qui courbent ou libèrent aujourd'hui des foules d'hommes. De ce seul point de vue, je reste persuadé que ma tentative mérite qu'on s'y intéresse. Il est intéressant de noter que cette pièce sur la liberté est aussi mal reçue par les dictatures de droite que par les dictatures de gauche. Jouée sans interruption, depuis des années, en Allemagne, elle n'a été jouée ni en Espagne ni derrière le rideau de fer. Il y aurait encore beaucoup à dire sur les intentions cachées ou explicites de cette pièce. Mais je veux seulement éclairer le jugement de mes lecteurs, non l'incliner."

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© Georges Bénicourt - 01/97 Dernière mise à jour: 21/01/97